Confiance

DRH, développeur de compétences collectives ?

 

Ndw 14  Focalisées sur les compétences individuelles, les organisations tendent à laisser dans l'ombre celles portées et mises en oeuvre par les collectifs, laissant ainsi en jachère tout leur potentiel stratégique et opérationel. Or, les compétences loin d'être des abstractions se manifestent toujours en situation. Et toute situation, comme tout résultat, n’est jamais le produit d’un seul individu mais d'un système de relations.

  • Pour réussir ensemble, il faut donc se faire confiance, prendre l’initiative de se voir pour mieux se comprendre, parvenir à parler de ce qui ne va pas, en distance et sereinement, sans renvoyer systématiquement chacun à ses manques ou ses responsabilités. Le sentiment d'un nous s'entretient de la qualité et de l'intensité des échanges et notamment de la bienveillance que chacun accorde à l'autre. Cet investissement inconditionnel du lien permet tout autant de s'allier que de se confronter sans nécessairement s'affronter.
  • Pour réussir ensemble, il faut aussi se rassembler autour d'enjeux communs, poser des objectifs et suivre ensemble les effets réels de ce que l’on fait ensemble. Il faut s'organiser et donc trouver les agencements les plus fluides, fixer les lieux d'arbitrage, accepter de laisser le lead à l'un sans que celui-ci en devienne propriétaire, etc. Ce passage de la coordination à la coopération n'est pas qu'affaire de bonne volonté mais nécessite de savoir construire des accords et les formaliser.

Toutes ces compétences collectives n'ont rien de "naturelles" et ne peuvent être, par ailleurs, le fruit d'incantations répétées.

L'enjeu premier est de les sortir de l'angle mort où elles sommeillent et d'y braquer le projecteur. Les rendre visibles et les nommer dès qu'elles se manifestent ou semblent faire défaut les font exister dans l'organisation et leur donnent le staut d'objet de travail stratégique. Favoriser leur prise de conscience, leur présence dans les raisonnements et les analyses, par une attention continue, les développent. La lumière diffusée par le DRH-éclairagiste les constituent donc comme objet commun et les fait croître.

Le second enjeu consiste à mettre en place des dispositifs concrets favorables à leur découverte et à une expérience collective positive et productrice. Initier à la pratique du co-développement, faire varier les modalités et les objets des réunions d'équipe (cf Ndw12), créer des instances de suivi-appui aux changements, instaurer des retours d'expériences, des pratiques de co-construction, etc, stimulent l'apprentissage et la mise en oeuvre de compétences coopératives et réflexives.

Sur ces bases, initiées par un DRH-créateur de conditions favorables, le collectif s'apparait à lui-même en tant que tel et se constitue en sujet oeuvrant à son devenir : acteur de sa propre évolution et en mesure de créer et mettre en oeuvre du nouveau.

 

Vertige contemporain

 

Ndw04 " Le vertige est une inversion et une contamination du Proche et du Lointain. Pour l'homme qu'il saisit au milieu de la paroi, l'amont, côté protecteur et proche, se redresse jusqu'à devenir surplombant (...) ; tandis que l'aval, là-bas, se creuse dans un lointain qui commence sous ses pas (...). Il n'y a plus de ." Henri Maldiney (philosophe, 1912-2013)

1. Ce mouvement de bascule entre le proche et le lointain éclaire une caractéristique forte de l'expérience contemporaine de la globalisation. La mise en interdépendance généralisée de tous les points du monde brouille non seulement les frontières entre états, mais plus communément celle que chacun pose entre un là et un là-bas. La globalisation ne relève pas seulement du macro. Elle produit des effets au coeur du micro et de nos vies quotidiennes dont elle change la texture.

2. Le vertige contemporain ne se réduit donc pas au tourbillon de flux d'informations, d'innovations, d'événements, qui nous fait "tourner la tête". Au delà de la sensation visuelle d'un environnement tumultueux, il est plus profondément une sensation kinesthésique (interne  au corps), étrange ; l'appui vacille, le sol se dérobe.

Cette sourde sensation traverse le social : imprévisibilité d'un licenciement, angoisse de chute sociale, conflit lointain qui vient exploser ici, menace écologique qui du virus au radio-actif courre sur les flux, réorganisation subite, délocalisation qui du jour au lendemain fait disparaître de manière imprévisible un emploi et le font resurgir à des milliers de kilomètres, etc.

3. Que fait celui qui brutalement a le sentiment que le sol se dérobe. Il se met à quatre pattes, renforce ses appuis, consolide son assise, reconstruit un pour se remettre debout et agir.

N'est-ce pas ce qui se manifeste dans l'engouement pour le développement personnel (retrouver ses appuis internes - confiance en soi, estime de soi...), dans l'inscription forcenée dans du local, dans le renforcement des relations de proximité et la constitution effrénée d'un réseau qui, comme un filet, tend sa toile et vous arrime au monde ?

4. Ce double mouvement de délocalisation par les flux et de relocalisation dans des lieux que chacun s'aménage amène donc à repenser ce qui est généralement interprété comme un "repli sur soi protecteur". Ce qui apparait comme repli n'est que le renforcement du camp de base : celui à partir duquel chacun prend appui et avance. Ce qui semble une régression sociale est aussi une dynamique adaptative de renouvellement des pratiques sociales.

 

Au-delà des RPS

 

Ndw03 L'émergence des risques psycho-sociaux ne se réduit pas à un durcissement de la pression exercée par les organisations sur les salariés. Il faut y lire également le développement d'un rapport plus intime au travail. Chacun aspire à sentir qu'il existe et compte. Chacun attend des relations gratifiantes et de pouvoir apporter sa valeur ajoutée afin de se sentir utile et efficace. Chacun désire prendre part à quelque chose qui le dépasse et donne une portée à ce qu'il fait. Cette mutation rend le travail de plus en plus personnellement sensible.

1. Le surgissement des risques psychosociaux est aussi l’envers de ce mouvement. C’est justement parce que le travail devient ce lieu de haute intensité subjective qu’il peut être un lieu de souffrance. Et c’est justement quand il y a disjonction entre les modèles d’organisation et la mutation du rapport au travail que la souffrance croît.

2. La question de la reconnaissance tient ici une place majeure et invite à développer une autre logique d'action. Ne pas seulement détecter le risque, mais en construire l'antidote. Ne pas pas seulement accompagner les personnes en souffrance mais cultiver les ressources que sont la confiance en soi et l'estime de soi.

Dans cette optique, il s'agit de reconnaître la réalité du travail quotidien et la part contributive que les acteurs y tiennent. Dire bravo, merci, c'est bien. S'intéresser vraiment à ce que chacun fait et partager cet intérêt, c'est mieux. Car chaque jour, ils mobilisent leur intelligence, leur sensibilité, leur histoire (et donc leur subjectivité) pour trouver des solutions, développer des astuces face à l'imprévu et s'accorder entre eux.

3. Se pencher sur l'activité quotidienne ne veut pas dire être dans le contrôle. C'est savoir comment ils font, à quelles difficultés ils sont confrontés et les traiter. C'est tenir compte de leur expertise dans les décisions prises. C'est échanger sur le service que l'on produit : où en est-on, comment pourrait-on avancer ? C'est donner du pouvoir d'arbitrage et initier avec eux une dynamique d'amélioration, voire d'innovation. En un mot, les considérer comme les véritables producteurs de leur activité et non de simples exécutants.

Tout le monde sans doute y souscrit. Mais dans les faits, a-t-on à tous les étages des organisations instituer les dispositifs qui soutiennent la part contributive de chacun, sollicitent l'expertise, stimulent et sécurisent la prise d'initiative ? Là est l'enjeu : instituer dans l'organisation  de nouveaux modes de fonctionnement.

Source. Jérôme Grolleau, La reconnaissance non monétaire au travail. Cahiers de l'Observatoire social territorial de la MNT, 2014.