Articles de jeromegrolleau

Sens de l'action publique locale et attractivité

 

Ci-joint un article publié pour la revue Le mouvement communal éditée par l'Union des Ville et des Communes de Wallonie ( UVCW).

Il tente de mettre en rapport la question du sens et de l'attractivité.

Article uvcw novembre 2022article-uvcw-novembre-2022.pdf (350.34 Ko)

 

 

 

 

Confinement 1, 2, ... : analyses et pistes.

 

NDW 20 Chroniques territoriales. Lassitude, agacement, usure,..., ces termes récurrents utilisés pour rendre compte du vécu de la situation actuelle sont justes. Pour autant, en mettant en avant la continuité d'un temps qui dure et qui use, ils tendent à masquer des ruptures sous-jacentes déterminantes de l'expérience sociale. Et notamment celles qui, distinguant catégoriquement le confinement 1 de ses suites, rendent compte de la bascule d'une surpression mobilisatrice à une tendance dépressive de plus en plus massive.

1. De l'exceptionnel à l'ordinaire. En se répétant, le confinement perd son statut d'exceptionnalité et fait son entrée dans l'ordinaire. Le 2 ne fait pas que répéter le 1, il initie un ordre ( 1 puis 2, ...) et instaure une régularité. Certes, cet ordinaire est bien "étrange" et anormal, mais il n'en porte pas moins une forme de quotidienneté : les gestes s'incorporent, les habitudes se cristallisent.

Ce passage de l'exceptionnel à l'ordinaire bouleverse les temporalités. Le premier confinement avait construit un temps, "hors temps", mis en suspension et entre parenthèses entre le fameux "avant" et "après". Or, l'accès fiévreux critique qui a mobilisé toutes les énergies s'est mué en "maladie quasi-chronique" alternant apaisements et rechutes. L'avant s'éloigne dans le passé, l'après se dissout dans un futur qui recule au fur et à mesure que nous avançons. Nous sommes dés lors plongés dans un éternel présent marqué d'une forte pathologie de l'action :

  • Pouvoir d'agir dégradé : Capacités d'action amoindries et vies rétrécies.
  • Interruption récurrente : Le stop and go scande les vies désorientant en permanence l'action soumise à une incertitude radicale.
  • Projection empêchée : Tout projet d'action est soumis à condition, subordonné à "si cela va mieux, si,...". Le temps devient conditionnel et Covid-19, le maître du temps.

2. Du monopole à la concurrence entre les principes. Le confinement 1 était régi par un principe unique d'ordre sanitaire. S'il demeure le leader de la légitimation de l'action, il se voit désormais mis en concurrence par d'autres registres : économique, liberté, jouissance de la vie, etc. Ce qui était accepté et ne prêtait pas à discussion, devient objet de discussion publique comme de négociation personnelle. Tout en étant perpétuellement remis dans le rang par l'évolution de la pandémie ! Le tiraillement psychique perpétuel est énergivore et la frustration, permanente.

3. De la "soudure" aux fissures du collectif. Le confinement 1 a donné lieu à un type d'expérience tout à fait particulier le collectif-UN. Chacun s'est trouvé mobilisé par le surgissement de cet événement quasi transcendant. La sidération et la menace ont favorisé le développement du sentiment puissant d'un lien dépassant nos différences : l'affect communautaire. Il a soudé le collectif formant dès lors la figure d'un seul et unique corps. Même, rester chez soi, parfois sans travailler, était une manière de tenir sa place dans un collectif idéalisé et célébré chaque soir aux fenêtres. Le dé-confinement a mis fin à la soudure laissant apparaître peu à peu de multiples fissures au sein d'un collectif devenu plus problématique.

Les "injustices " ont alors pris le devant de la scène médiatique : Pourquoi les boulangeries et pas les librairies ? Pourquoi les cultes et pas la culture ? Etc. Au sein des organisations territoriales, deux points clefs du processus de fissuration du collectif ont commencé à produire leurs effets conjugués, dès les premiers retours en présentiel.

  • Les règles sanitaires. Masques, distances, gestion des flux, visioconférences, etc., constituent autant d'embûches à l'établissement de relations fluides. En brouillant le répertoire indiciel permettant d'instaurer confiance et attention à autrui, elles assèchent le liant. Sources de brouillage, elles le sont également de tensions et donc "d'embrouilles" continuelles entre ceux qui les respectent et ceux qui ne les respectent pas ou moins.
  • Le retour (du refoulé) : l'hétérogénéité. Ces relations sont d'autant moins fluides, qu'à l'heure heureuse des "retrouvailles" s'est révélée toute l'hétérogénéité ds expériences du confinement 1. Ce qui avait été pensé et vécu comme UN, s'est avéré multiple et hétérogène. Par voie de conséquence, le partage d'expérience spontané qui aurait du donner lieu à une communion et à la célébration collective du devoir accompli n'a pu, bien souvent, opérer et remplir son office. Les rancoeurs de ceux qui estiment avoir donné beaucoup d'eux-mêmes à l'égard de ceux supposés avoir fait défaut, voire s'être "planqués" polluent l'atmosphère. Et ce d'autant plus vivement que la délicate question de la reconnaissance par les organisations sous forme monétaire ou autres se pose.

Ce retour de la différence et le surgissement brutal d'un collectif qui ne va plus de soi suscite déception, voire désillusion. La solidarité qui se construisait autour de l'adaptabilité et des enjeux de continuité du service, tend à se jouer désormais dans les interactions quotidiennes autour du respect des règles sanitaires et des traces du confinement 1 qui remontant à la surface tendent à s'enkyster dans les équipes.

Sans aucun doute, certaines équipes et organisations ont su entretenir la flamme du commencement. Mais nous ne prenons guère de risque à émettre l'hypothèse que la conjugaison de la diminution de la puissance d'agir, de la frustration permanente et de la fragilisation des collectifs nourrit une tendance dépressive significative et minent progressivement un corps social épuisé par l'événement Covid-19.

 

Quelques premières pistes de travail. Tout en ayant pleinement conscience de la difficulté pour les dirigeants comme pour les managers d'avoir à gérer une situation de ce type dans un contexte perpétuellement mouvant et radicalement incertain, nous suggérons néanmoins de :

1. Considérer cette nouvelle situation comme un temps stratégique et non comme un temps strictement opérationnel. Cette longue saison dépressive, éprouvante et usante, marquera sans doute tout autant l'histoire des équipes et des collectivités que la saison 1 du premier confinement. La question stratégique à se poser est alors celle-ci : que puis-je faire de cette situation et de ce qu'elle ouvre comme possible ? Et non seulement, que puis-je faire dans cette situation et des limites qu'elle impose ?

2. Faire parler les affects, partager et analyser. L'expression et la compréhension des affects qui circulent dans les collectifs me semble le préalable à la possibilité d'une gestion pertinente de la situation. Construire une représentation de "ce qui se passe" permet de prendre le recul nécessaire à l'action et d'éviter de se laisser happer par l'ambiance interne (en rajoutant, par exemple de l'agacement à l'irritabilité déjà présente). Dans ce cadre, il est important, autant que possible, de créer des temps entre managers et au sein des équipes afin d'exprimer les ressentis, de les partager, de les analyser, soit, retisser les liens à partir des émotions. (Notons que le fait de leur donner place et droit de cité, c'est déjà faire acte stratégique : initier une évolution culturelle des organisations territoriales cf. point 1).

Les trois propositions suivantes, en tenant de nouer passé, présent et futur, visent à réintroduire une trame de continuité là où dominent pour l'heure, ruptures, hachures, interruptions.

3. Restaurer du familier. En réactivant autant que faire ce peut les micro-rituels du quotidien, les routines et les habitudes du travail mais aussi en prenant appui sur le temps cyclique de l'organisation : préparation budgétaire, entretiens individuels, etc. Le temps a été mis hors de ses gonds et le quotidien, chamboulé. Prendre appui sur le temps long des cycles et des habitudes, c'est redonner de l'armature au temps et une assise aux personnes.

4. Rendre quotidien l'exceptionnel. Il s'agit d'ancrer de manière durable dans le fonctionnement quotidien de l'organisation toutes les pratiques et modes de fonctionnements surgis lors du confinement 1 et jugés comme des avancées pertinentes. Soit, puiser, collectivement, dans tout le potentiel ouvert à l'occasion du choc initial pour l'actualiser et le pérenniser. C'est la clef de voûte de la reconstruction de la continuité et du nouage des temporalités.

La matière à travailler est ici abondante :

  • Télétravail, procédures allégées, processus de validation et de décision accélérés, priorisation accentuée, etc.
  • Nouveaux services créés, modalités de rendu du service repensées, liens de coopération renforcés ou instaurés avec de nouveaux partenaires, etc.
  • Intensification de la communication managériale, forte écoute et disponibilité, réactivité aux questionnements, attention aux situations particulières, confiance accordée aux équipes, aux agents, au terrain dans leur capacité à s'auto-organiser, fonctionnement plus horizontal, etc.

Et les enjeux stratégiques, conséquents :

  • Construire un acquis constituant une trace positive de l'événement : ce ne fut pas un temps et une mobilisation pour rien.
  • Et ainsi, faire la démonstration d'une capacité à se transformer "vraiment" et non simplement de s'adapter ponctuellement de manière réactive.

5. Sur cette base, se projeter, en prenant appui sur le moment "charnière" que constituent le renouvellement du mandat politique pour les communes et intercos ou la fin du mandat pour les départements et les régions. Ce temps institutionnel est propice à la formalisation d'un nouveau cadre de la relation aux élus, à l'établissement de diagnostics, à l'élaboration d'un projet stratégique et managérial, etc.

Loin d'être un temps mort stratégique, cette période constitue donc un moment opportun à même de jeter de premières "ancres" pour le futur. L'après, c'est maintenant !

 

 

 

Flash-book 2

 

Ci-dessous, la célèbre définition du Care par la philosophe Joan Tronto.

La crise Covid-19 a rendu visible toute l'importance de cette activité à laquelle, de fait, les agents des collectivités locales s'adonnent. La Fonction publique territoriale, afin de repenser et renforcer le sens qu'elle donne à son action suite à Covid-19, aurait à nos yeux, tout intérêt à se nourrir, entre autres, de ce courant de pensée tout autant éthique que politique.

Pour en savoir un peu plus un lien vers un article présentant l'ouvrage, https://laviedesidees.fr/Pour-une-theorie-generale-du-care.html

Capture d e cran 2021 02 01 a 15 45 54

 

 

 

 

Télétravail : déliaison sociale ou reconstitution de soi ?

 

Chroniques territoriales Ndw 19.

1. La mise en place, forcée et dans l'urgence, du télétravail et des technologies associées a permis de maintenir les relations internes et externes, d'assurer au mieux la continuité du service et donc, in fine, de contribuer à la continuité des vies quotidiennes des habitants soumises à de fortes ruptures.

2. Marqueur de l'événement Covid dans le champ du travail, nous avons constaté que ce dispositif avait constitué pour de nombreux agents une véritable découverte et une expérience souvent positive. Cette dernière est sous-tendue par une logique de ré-appropriation de son travail, caractérisée par :

  • la concentration liée à l'atténuation des sollicitations incessantes venant hacher le travail,
  • la liberté accordée en termes d'auto-organisation de son travail valant confiance et reconnaissance,
  • la sérénité par suspension du temps de trajet et meilleure articulation entre les différents pôles de sa vie.

Ces trois termes désignent l'effet paradoxal du télétravail, celui d'être plus présent subjectivement à son travail, et, de surcroît, de parvenir à conjuguer qualité, efficacité et efficience.

3. Pour de multiples raisons (compatibilité de l'activité, matériel, management inapproprié, appétence personnelle, etc.), tous les agents n'ont pu vivre pleinement cette expérience. Mais cette logique et ses principales caractéristiques, si elles peuvent être contrariées, constituent néanmoins le coeur de l'attractivité du télétravail.

4. Celle-ci est d'autant plus forte qu'elle prend sens au regard d'une tendance croissante à la mobilisation généralisée (Martucelli 2017) des acteurs sociaux perpétuellement enrôlés dans des flux multiples :

  • irriguant tous les aspects de la vie sociale et notamment le travail,
  • appelant réponse immédiate et réactivité. D'où sentiment d'accélération et de saturation du présent, etc,
  • et puisant abondamment dans les ressources psychiques et physiques des personnes. D'où burn out, stress, épuisement, etc.

Dans cette optique, le télétravail n'est donc pas tant le renforcement de l'atomisation de la société (désengagement, rejet du collectif, etc). Mais un dispositif contrecarrant la tendance à l'atomisation des individus eux-mêmes : "jouets" sous l'emprise des flux, ballotés et entraînés par leur cours et se dispersant au gré des multiples sollicitations. Il est ainsi à comprendre comme la possibilité d'un abri temporaire au sein des flux.

Le collectif n'y est pas rejeté, mais tenu, un temps, à distance afin d'être présent à ce que l'on fait, de retrouver prise (versus la déprise) et d'habiter pleinement son travail. Distance ne signifie pas ici déliaison et désengagement. La reconstitution de soi en sujet de son travail est au contraire la condition d'une relation au collectif et aux autres, en personne.

5. Les risques d'isolement, de décrochage, et d'atteintes à la socialité sont bien présents. Et un usage intensif peut clairement s'apparenter à une mise en danger. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, avec lucidité, les demandes des agents semblent généralement porter sur 1 ou 2 jours par semaine. Mais les enjeux de transformation entourant le télétravail ne se limitent pas à trouver le bon équilibre entre les temps.

6. Premier enjeu : inscrire l'introduction du télétravail dans une perspective de différenciation et qualification des espaces-temps. Le télétravail en est un, avec ses qualités propres (concentration, liberté, sérénité). La visio-conf. centrée sur l'échange rapide d'informations et la coordination opérationnelle en est un autre.

Mais le présentiel offre lui aussi de nombreuses possibilités de temps participant d'une réappropriation individuelle et collective du travail. La convivialité, la santé et le bien-être, la machine à café, la coopération, le débat, la résolution de problèmes, l'accompagnement, l'analyse des pratiques professionnelles, etc, sont autant d'espaces-temps potentiels à investir. Reste à les penser et les construire au regard d'une intention explicite afin de leur donner toute leur densité qualitative.

L'enjeu est de sortir d'un temps soumis à la seule pulsation du tempo, et de construire, sur cette base, des figures rythmiques variées offrant une palette de temporalités différenciées. Plus que de temporiser, il s'agit donc dans cette optique de temporaliser (Caye, 2020), en créant et en structurant des temps permettant aux individus et aux collectifs de s'installer dans un présent vivable et habitable, car riche d'un rapport à soi, aux autres et au travail revivifié.

7. Le second enjeu est bien évidemment managérial.

Le management à distance rend nécessaire des pratiques clefs du management : expliciter les attendus et leur pourquoi, en discuter, adopter une posture ressource, laisser de l’autonomie, faire confiance a priori, instaurer des points réguliers, poser des échéances, etc. La distance met à nu des fondamentaux structurant la relation managériale et exige leur mise en acte. Or, ceux-ci sont loin d'être toujours appliqués et ce d'autant que la relation de proximité tend souvent à faciliter leur esquive.

Par ailleurs et sur cette base, il s'agirait d'élargir l'activité managériale à l'instauration et l'animation de tous les temps collectifs potentiels offerts notamment par le présentiel et évoqués précédemment. Il y a là un espace de transformation conséquent et nécessaire. Et qui de surcroît, en concernant tout le monde, limite partiellement le risque d'injustice sociale qu'encoure un télétravail excluant les "premières lignes" qui ne peuvent en bénéficier.

 

* Danillo MARTUCELLI (sociologue) La condition sociale moderne. L'avenir d'une inquiétude, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2017.

* Pierre CAYE (philosophe) Durer. Eléments pour la transformation du système productif. Paris, Les Belles Lettres, 2020.

 

 

Le terrain est stratégique

 

Chroniques territoriales Ndw 18. Covid-19 a fait toucher du doigt le "vif" de l’action publique locale, "faire tenir debout le quotidien" et a ainsi réactivé le sens animant la territoriale. L’engagement souvent spontané des agents ordinaires s'est d'ailleurs particulièrement manifesté. Mais Covid 19 n’a pas seulement rendu sensible le « pour quoi ? », il a tout autant porté le projecteur sur le « comment ? » et le terrain. Du sanitaire au maintien des services essentiels, les questions opérationnelles ont saturé cette séquence. Comment se protège-t-on et protège-t-on autrui ? Comment ouvrir une école, maintenir l’état civil, maintenir le lien avec les habitants les plus vulnérables, etc. ? Entre les mots d’ordre et la réalité, s’est révélée toute la complexité de la moindre activité et des conditions nécessaires à sa réalisation. La valorisation des métiers essentiels s’est donc doublée d’une valorisation de l’activité concrète et du terrain. Sans expertise et savoir-faire terrain, toute stratégie prend le risque d’échouer sur le réel. A ce titre le terrain n'est pas seulement ce qui applique la stratégie. Il la réalise, la nourrit et l'ajuste en continu. Il participe donc pleinement de la fonction stratégique.

La remise en cause de l’action centralisée de l’État et la montée en puissance de la parole des collectivités locales à l'occasion de la crise sanitaire en est une illustration manifeste. Mais ce qui se joue entre les acteurs publics doit de la même manière se jouer au sein des organisations territoriales. Là comme ailleurs, le terrain demeure bien souvent invisible, là comme ailleurs, le savoir d’en haut tend à éclipser le savoir d’en bas, formant l’ « angle mort » des dirigeants (Yves Clôt, 2020)*.

 

Quelques pistes de travail :

1. Prendre acte de la dimension stratégique du terrain. Reconsidérer la place et la parole des managers de proximité (Cf. Billet Ndw 17), intégrer les acteurs de terrain concernés au processus de décision et libérer des espaces d'autonomie aux équipes opérationnelles (notamment en termes d'auto-organisation), ente autres.

2. Mettre en mots, par les équipes, et rendre visible, au sein de l’organisation, l'activité réelle, soit :

– Les épreuves quotidiennes du travail ;

– ce que ces épreuves engagent subjectivement (initiative, intelligence, énergie physique, attention, relation à autrui, partage de significations…) ;

– ce qu’elles nécessitent en termes organisationnels : ce qui équipe l’action et fait ressource.(Pascal Ughetto 2018)*.

Il s’agit de faire en sorte que l’activité soit travaillée et débattue collectivement et que les agents aient ainsi leur mot à dire sur ce qu’ils font, comment ils le font, pourquoi ils le font. De nombreux dispositifs peuvent soutenir cette approche consistant à "faire parler" le travail : retour d’expérience, diagnostic de l’activité, échanges de pratiques, analyse de situations types, observation croisée, analyse de dysfonctionnements récurrents, co-construction de solutions et du service rendu.

3. Favoriser l’émergence de projets d’équipe inscrits dans une perspective d’amélioration continue. Ils tiennent certes compte du projet stratégique. Mais ils ne doivent pas pour autant se réduire à sa simple déclinaison, comme nous le voyons souvent. Façonnés par l’équipe et son encadrement, à partir des revisites du service rendu aux usagers, du fonctionnement de l'équipe et de la qualité de vie au travail, s'y élabore une feuille de route à un an autour de quelques actions phares. Favorisant alors la prise en charge de l'activité par les acteurs eux-mêmes, ils leur permettent de "faire sens et stratégie" à leur échelle, en produisant des effets perceptibles et à portée de main.

Yves Clôt, Le choc du réel, in Ensemble et autrement, Le cercle des acteurs territoriaux, 2020.

Pascal Ughetto, Les nouvelles sociologies du travail. Introduction à une sociologie de l'activité. Deboeck, 2018

 

 

Reconsidérer la place et la parole des managers de proximité

Chroniques territoriales Ndw 17 Le "terrain" est le lieu où la stratégie se réalise et où les politiques publiques prennent corps. C'est en ce point que les transformations s'accompagnent et les actions s'ajustent. C'est au sein des espaces du quotidien que la confiance des agents se construit et que les pratiques se façonnent. Les encadrants de proximité, en première ligne, ont donc une haute valeur stratégique. Celle-ci s'est pleinement manifestée à l'occasion de la gestion de la crise du Covid : sans expertise et savoir faire "terrain", toute stratégie prend le risque d'échouer sur le réel.

Cette valeur s'accompagne d'une grande fragilité. Souvent issus du rang et amenés à gérer d'anciens collègues, ils ont à opérer "sur place" un repositionnement sans commune mesure avec la prise de poste d'un cadre en mobilité. Fortement exposés au réel et à toute son épaisseur, ils ont à faire face aux stratégies qui achoppent ou se contredisent, aux dysfonctionnements comme aux imprévus qui surgissent au quotidien.

Cette place stratégique et cette fragilité sont souvent reconnues. De nombreuses formations sont d'ailleurs mobilisées leur permettant d'être plus à l'aise dans leur travail et de se positionner. Mais pour autant, centrées sur l'acteur individuel, elles ne sont pas en mesure de dénouer le paradoxe systémique dans lequel ils sont pris.

En effet, si l'importance de leur place est, dans le discours, prise en compte, elle se trouve souvent déniée dans les faits. De manière symptomatique, leur appartenance à la communauté managériale est proclamée, alors même que la grande majorité des séminaires managériaux se déroulent encore en leur absence. Plus profondément, le pouvoir dont il dispose n'est aucunement à la hauteur de la valeur qui leur est accordée. Le contraste entre les multiples prescriptions venues d'en haut et la faiblesse de leur pouvoir de les influer est saisissant. Leur voix ne porte pas, ne produit pas ou peu d'effet.

Les conséquences de ce noeud paradoxal se manifestent entre autres autour de la question de l'autorité. Du côté des managers de proximité, la situation d'entre-deux devient, en situation paradoxale, un exercice de haut vol. Comment faire autorité quand vous ne disposez que d'un très faible pouvoir d'influer sur ce qui impacte au plus haut point l'activité et les agents dont vous avez la charge ? Si ce n'est en prenant appui sur votre savoir faire technique et la relation personnelle aux agents, tout en dénigrant parfois ceux "d'en haut". Du côté de la ligne hiérarchique, c'est, en miroir, le constat fréquent d'un encadrement de proximité se positionnant avant tout comme expert technique et manageant de manière "trop" empathique ou "trop" autoritaire.

Les acteurs sont jugés, les représentations des uns et des autres, figées, sans interroger le système dont elles résultent. Cet impensé freine la nécessaire évolution de la place effective des managers de proximité.

Pour dénouer le paradoxe, il est souhaitable d'engager une reconfiguration des relations et des rapports de pouvoir afin de créer les conditions dans lesquelles l'encadrement de proximité acquiert une voix plus forte, une voix qui porte. Le travail mené en coproduction avec diverses collectivités* nous ont permis d'identifier les points clefs d'un processus axé sur les collectifs de travail.

1. Permettre aux encadrants de proximité de construire une représentation partagée et formalisée de ce qu'ils vivent, de leur rôle, de ce qu'ils font, de leur place dans le système, des difficultés qu'ils rencontrent comme de leurs sources de satisfactions. Pour se construire en sujet (versus un "jouet" du système) il faut d'abord se représenter à partir d'un partage d'expériences.

2. Leur faire élaborer les évolutions possibles et souhaitables de leur rôle, de leur action et des conditions organisationnelles (RH, management, processus de décision, etc) qui les favoriseraient. Se construire en sujet collectif, c'est porter un projet, prendre en charge collectivement le devenir de son métier.

3. Partager ce travail sur son rôle et son devenir auprès avec tout l'encadrement. Cette prise de parole publique et collective est un élément clef de la constitution de soi comme acteur qui compte et entend compter. Voilà ce que nous vivons, voilà ce que nous proposons !

4. Passer du collectif des encadrants de proximité aux collectifs managériaux par activités (encadrants de proximité, chefs de services, directeurs, voire DGA d'une même activité) et les faire travailler, sur la base des propositions des encadrants de proximité, à un projet managérial à court terme, co-construit et sur lequel le collectif s'engage. Il s'agit alors d'inscrire dans les faits et les décisions, le poids de la parole des managers de proximité.

* Merci aux villes de Saint-Nazaire, Bagneux et Saint-Jean-de-Monts à l'initiative de dispostifs d'accompagnement conséquents. Merci également aux villes de Challans, Millau et à Vichy-communauté pour leur action.

 

 

Interco/Communes : la coopération nécessaire

 

En ces temps de très fortes secousses, la coopération inter-territoriale devient une nécessité absolue.

Quelques analyses et pistes opérationnelles pour avancer et franchir une nouvelle étape !

Deux rapports à disposition, commandés par le CNFPT et L'INSET d'Angers :

Vademecum séminaire 2018vademecum-se-minaire-2018.pdf (2.61 Mo)

Cnfpt livret numerique seminaire dgs 2019cnfpt-livret-numerique-seminaire-dgs-2019.pdf (4.31 Mo)

 

 

 

"Donner du sens" ???

 

 

Ndw 16. Un impératif managérial, moins évident qu'il n'y parait.

En effet :

1. Il y a déjà du sens. Les acteurs en attribuent nécessairement à la mission qu'ils accomplissent. Le terrain n'est jamais "vierge de sens'.

2. Le sens n'appartient à personne. Il circule, s'échange, se transforme,...Les dirigeants n'en sont donc pas les propriétaires. S'il leur revient de fixer un sens, au sens de direction - orientations, priorités, etc qui permettent d'agir - celui ne couvre pas toute la question.

3. Les acteurs élaborent eux-mêmes le sens qu'ils donnent à ce qu'ils font à partir de ce qu'ils vivent et constatent, des échanges, de leur histoire personnelle et collective, de leur culture.

4. Ce rapport actif à la construction du sens est surmultiplié dans nos sociétés contemporaines. Le sens n'étant plus donné et n'allant plus de soi, chacun est amené à travailler à sa production.

5. Cette élaboration est le fruit d'un processus articulant trois foyers de sens en forte interdépendance.

 

Capture d e cran 2018 12 13 a 12 41 29

 

La logique du système peut se formuler ainsi : Une personne s'engage dans l'action au nom d'une mission.

C'est au travers du sens de la mission que chacun définit son utilité sociale. Qu'est que je-nous apportons à autrui, à la société ? Quelles valeurs accompagnent l'accomplissement de la mission ? Comment celle-ci s'actualise et prend sens dans un monde en évolution ? Etc.

Mais pour une personne engagée quotidiennement dans son travail, cette dimension quasi-institutionnelle ne fera sens de manière effective que si et seulement si :

- cet engagement a aussi un sens pour soi : Est-ce que je m'y retrouve moi en tant que personne, en termes de valeurs, de développement, de reconnaissance, d'évolution de vie, etc ?

- Et si les modalités de la conduite de l'action concrète (soit, le sens de l'action en tant que tel) sont cohérentes, lisibles, fondées sur un diagnostic, adaptées à ses publics cibles, pertinentes au regard de la mission et de ses évolutions, enrichissantes pour la personne, productrices de collectif, etc.

Plus les liens se tissent entre ces trois pôles, plus le sens se densifie, circule et irrigue l'ensemble du système (comme une sève !).

 

Quelques conséquences pour l'action :

- Chercher à cultiver le sens, le déployer, et à entretenir sa dynamique plutôt qu'à combler un soi-disant manque en "donnant du sens".

- Créer des conditions à même de susciter des effets de sens, en travaillant sur les trois pôles simultanément et leurs liens, afin d'activer le processus.

Ces effets se manifestent principalement après-coup et consistent, soit, à renforcer le sens déjà là, soit à le modifier, l'enrichir, le renouveler et ainsi porter un nouvel élan.

- A trop se centrer sur les grands principes - projet d'entreprise, projet de territoire, projet d'administration, valeurs, chartes, etc - et la communication "pédagogique" qui généralement les accompagne, cela tourne à vide par déficit d'ancrage.

Il nous semble donc nécessaire d'investir tout autant et si ce n'est plus, l'activité quotidienne en la considérant comme un lieu stratégique d'articulation entre les trois foyers et non comme une simple déclinaison du grand projet.

Un projet d'équipe co-construit, des diagnostics réguliers sur l'activité et le fonctionnement collectif, une analyse et une action fondées sur la connaissance de ses publics, échanges et analyse de pratiques, co-construction de solutions, scan des situations types problématiques, check-up des process, souci permanent des conditions de travail, véritable coopération entre services, association au processus de décision en amont,...

Ces pratiques rendent le travail plus intéressant, accordent une place à l'individualité dans une dynamique collective, redonnent la main aux acteurs de terrain tout en les invitant à porter une action stratégique à leur échelle et donc à faire sens,... En animant au quotidien le processus, chacun peut alors être le siège et l'acteur de significations enrichies et renouvelées.

 

 

Sens du travail-FPT

 

Ci-dessous un lien pour un entretien-vidéo réalisé par l'INSET-CNFPT de Montpellier, suite à un congrès rassemblant les conseillers en organisation des collectivités territoriales.

 

 http://video.cnfpt.fr/questions-cles/entretien-avec-jerome-grolleau-sociologue

 

Entretien fondé sur l'étude "Réenchanter le quotidien : le sens de l'action publique locale", commanditée et publiée par l'Observatoire Social Territorial de la MNT

 

 

" Cassé, tu finiras ! "

 

Ndw 16 / Chroniques territoriales. La GPEC se heurte généralement à la fameuse question : comment prévoir dans un monde imprévisible ? Si ce paradoxe mériterait d'être questionné, il ne doit pas pour autant masquer ce qui relève de la certitude.

Or, il est certain que l'exercice durable de métiers physiques et répétitifs exposent les corps à des risques clairement identifiés. Nous pensons bien évidemment à la multitude d'agents catégorie C des collectivités oeuvrant dans la petite enfance, la restauration, l'entretien, les services techniques, etc.

Il est donc certain qu'une grande part de ces d'agents développeront inéluctablement dans leur seconde partie de carrière de multiples problèmes de santé portant atteinte à leur vie personnelle et que leur vie professionnelle sera balisée par les diverses restrictions médicales et inaptitudes.

Il est tout aussi certain que les déboires physiques des uns "se propagent" dans l'entourage professionnel proche : l'absentéisme et les restrictions accentuant la charge de travail des collègues et du chef d'équipe en fin de carrières mettant la main à la patte.

Il est enfin certain que tout ce gâchis humain coute et coutera cher aux collectivités.

Ce scandale est connu. Des voix se font entendre (notamment, l'ANDRH-Grandes Collectivtés et son Président Johan Theuret). Des initiatives sont sans aucun doute prises. Il est donc temps de prendre la question collectivement et à bras le corps : sensibilisation dès l'embauche, voire limitation de la durée d'exercice, anticipation de parcours possibles, formations, variété des tâches et des missions, conditions de travail et organisation du travail, etc. En un mot, ne pas se contenter de l'approche "gestes et postures", utile mais insuffisante, mais s'engager vers une véritable gestion durable des personnes.

 

Etat des lieux

 

Ndw15 / Chroniques territoriales.  Nos multiples travaux1 auprès des agents territoriaux, confirment le diagnostic suivant : Face aux profondes transformations en cours, l'action managériale a un effet déterminant sur le climat social. Certes, les multiples réorganisations et la réduction des ressources, par déstabilisation et intensification de la charge de travail, impactent le vécu des collectifs et des agents. Mais ce qui décide du résultat final est l'action managériale entreprise.

Nous identifions ainsi trois grands types d'expérience sociale de la transformation en cours.

1. La régression. Elle procède par perception du renforcement de la centralisation de la décision et des modalités de contrôle. Ce mode de pilotage guidé par une forte logique de sécurisation, et fréquemment emprunt d'une méfiance à l'égard des fonctionnaires, produit un double effet négatif : glaciation des relations et rétraction des espaces d'autonomie. Vécu comme une régression par des cadres sur-sollicités et en même temps devenus dépendants au chef, la perte de l'estime de soi vient alors s'ajouter à la déstabilisation comme aux multiples projets à mener dont l'accompagnement difficile des réorganisations. Elle met de nombreux cadres dans une situation difficile, voire en danger : multiplication des RPS en tout genre.

Ce sentiment régressif touche l'ensemble du corps social. En effet, au moment où la situation exige de faire appel à la personne de l'agent (donner de soi, s'impliquer, changer de manière de travailler, de penser, etc), cette modalité porte atteinte à son espace vital et ainsi la nie. Il n'est pas rare alors de rencontrer des agents, cadres ou non, qui pour se protéger et maintenir le sens donné à leur travail fixent leur énergie sur une tâche investie, se créant ainsi un espace de sauvegarde de soi.

2. La morosité. Règne ici le statu quo managérial. On rabote, on réorganise, et on accompagne socialement les transferts et fusions. Mais du point de vue managérial ou des modes de fonctionnement, rien ne se passe. On continue à faire comme avant alors que les fondamentaux sont clairement en train de bouger. Il y a bien adaptation, mais la modalité est ici purement réactive et se limite à une rationalisation économique subie asséchant peu à peu l'élan des acteurs. Le choc est certes moins rude que précédemment. Mais le "faire comme avant" n'ouvrant aucune perspective, mène nulle part.

3. Le renouvellement. Cette dernière expérience sociale se caractérise par la perception dʼavancées managériales significatives, en rupture avec ce qui se faisait communément dans la collectivité. Quelques occurrences simultanées ou successives suffisent à enclencher le processus. Entre elles, un lien sʼopère et, ce faisant, construit une règle dʼinterprétation : il y a une volonté dʼaller de lʼavant et de renouveler lʼunivers professionnel de la territoriale. Le champ des avancées possibles est large. Les figures les plus marquantes en sont : une logique d'action fondée résolument sur les usagers, lʼintensification des relations internes verticales et transversales pour un collectif plus coopératif, des projets dynamisant lʼaction individuelle et/ou collective, des signes de reconnaissance qui vont de la valorisation à une participation plus active aux décisions en passant par lʼaccroissement des marges de manoeuvre, un dispositif de formation plus soutenu, des outils-méthodes pour un plus grand professionnalisme, etc.

L'enjeu est d'enclencher un processus de transformation globale et de l'entretenir par enchaînements afin de renouveler lʼexpérience concrète du travail. S'ouvre ainsi la perspective dʼun devenir dans lequel les agents sont dʼores et déjà engagés. La dynamique positive devient alors le centre organisateur de la perception. Les agents évoquent une "révolution en cours" ou bien à affirment un "C'est mieux qu'avant !". La puissance des avancées essentiellement managériales est donc réelle : une perspective s'ouvre, un sens se dessine.

 

L'impact de l'action managériale est d'autant plus déterminant que ce bouleversement économique et institutionnel intervient au moment même où le rapport au travail est en mutation et les attentes sociales fortes. Dés lors, soit l’action managériale agit à contre-courant par la centralisation et le contrôle, soit, tout au contraire, elle parvient à capter cette attente et ouvre alors une voie aux agents.

C'est le chemin que nous tentons d'emprunter avec certains collectivités en prenant pour point d'entrée, le "mieux-être au travail" et pour objectif la coproduction d'un projet managérial à 1 an. Cet angle d'approche en redonnant une place à la personne au travail amène les collectifs à construire quelques actions-phares sur lesquelles se concentre leur énergie. Elles permettent de faire bouger les relations, les modes de fonctionnement, etc, et ainsi d'inscrire, rapidement et dans le réel, une dynamique visant à "mieux faire ensemble". Dans ce cadre et tels que les collectifs s'en emparent, le "mieux-être au travail" s'avère donc être bien plus qu'une simple compensation aux épreuves du changement, un véritable levier de transformation.

 

1 La nouvelle donne territoriale. Cahiers N°16 Observatoire social de la MNT, 2016. Paré à virer, livret RH MNT-ADGCF, 2017. Ré-enchanter le quotidien. Cahiers N°20 Observatoire social de la MNT, 2018.

 

 

DRH, développeur de compétences collectives ?

 

Ndw 14  Focalisées sur les compétences individuelles, les organisations tendent à laisser dans l'ombre celles portées et mises en oeuvre par les collectifs, laissant ainsi en jachère tout leur potentiel stratégique et opérationel. Or, les compétences loin d'être des abstractions se manifestent toujours en situation. Et toute situation, comme tout résultat, n’est jamais le produit d’un seul individu mais d'un système de relations.

  • Pour réussir ensemble, il faut donc se faire confiance, prendre l’initiative de se voir pour mieux se comprendre, parvenir à parler de ce qui ne va pas, en distance et sereinement, sans renvoyer systématiquement chacun à ses manques ou ses responsabilités. Le sentiment d'un nous s'entretient de la qualité et de l'intensité des échanges et notamment de la bienveillance que chacun accorde à l'autre. Cet investissement inconditionnel du lien permet tout autant de s'allier que de se confronter sans nécessairement s'affronter.
  • Pour réussir ensemble, il faut aussi se rassembler autour d'enjeux communs, poser des objectifs et suivre ensemble les effets réels de ce que l’on fait ensemble. Il faut s'organiser et donc trouver les agencements les plus fluides, fixer les lieux d'arbitrage, accepter de laisser le lead à l'un sans que celui-ci en devienne propriétaire, etc. Ce passage de la coordination à la coopération n'est pas qu'affaire de bonne volonté mais nécessite de savoir construire des accords et les formaliser.

Toutes ces compétences collectives n'ont rien de "naturelles" et ne peuvent être, par ailleurs, le fruit d'incantations répétées.

L'enjeu premier est de les sortir de l'angle mort où elles sommeillent et d'y braquer le projecteur. Les rendre visibles et les nommer dès qu'elles se manifestent ou semblent faire défaut les font exister dans l'organisation et leur donnent le staut d'objet de travail stratégique. Favoriser leur prise de conscience, leur présence dans les raisonnements et les analyses, par une attention continue, les développent. La lumière diffusée par le DRH-éclairagiste les constituent donc comme objet commun et les fait croître.

Le second enjeu consiste à mettre en place des dispositifs concrets favorables à leur découverte et à une expérience collective positive et productrice. Initier à la pratique du co-développement, faire varier les modalités et les objets des réunions d'équipe (cf Ndw12), créer des instances de suivi-appui aux changements, instaurer des retours d'expériences, des pratiques de co-construction, etc, stimulent l'apprentissage et la mise en oeuvre de compétences coopératives et réflexives.

Sur ces bases, initiées par un DRH-créateur de conditions favorables, le collectif s'apparait à lui-même en tant que tel et se constitue en sujet oeuvrant à son devenir : acteur de sa propre évolution et en mesure de créer et mettre en oeuvre du nouveau.

 

Entre pairs : une nouvelle dynamique sociale

 

Ndw 13 Un dimanche après-midi par mois une de mes filles garde de très jeunes enfants pendant que leurs parents se rendent,..., à une réunion de parents, y parler de leur expérience, partager leurs questionnements et échanger entre pairs et ce, hors de toute institution.

Certains ne manqueront pas de sourire et d'attribuer ce comportement à de futiles "bobos" parisiens, voire de s'emporter à l'encontre d'un tel usage de son temps. Et pourtant, voilà une pratique significative des dynamiques sociales contemporaines, prenant à contre-pied les interprétations réductrices et récurrentes : repli sur soi, délitement du lien social, primauté des intérêts individuels, perte de sens, évanescence des rôles sociaux, perte des repères, etc.

1. Loin d'une disparition des rôles sociaux, cette pratique en signe au contraire le fort investissement, méritant d'y consacrer du temps, voire de l'argent (baby-sitting) et met en évidence la transformation du rapport que chacun entretient avec eux. Il ne s'agit plus de se mouler dans le rôle mais de le moduler, de la façonner à sa façon, le faire sien, pour mieux l'habiter et lui donner un sens personnel.

2. Cet écart au rôle, investi et producteur de sens, est l'espace d'un "travail" de subjectivation de l'individu. S'y glisse un sujet à l'intense activité réflexive. Celle-ci s'ancre dans l'éprouvé des situations concrètes, dans les pratiques,...., sans que les unes soient jugées "bonnes" et les autres "mauvaises".

3. Ni hors des normes, ni hors de toutes références communes, ce travail y prend au contraire appui afin de dégager un style, une singularité, voire innover et expérimenter de nouveaux chemins. L'enjeu n'est pas tant de se distinguer socialement que de construire une relation à soi et au monde, riche, congruente, dynamique. La subjectivation prime sur la distinction.

4. Enfin, si le coeur de cette pratique instaure un rapport réflexif à soi, le rapport à l'autre en est indissociable. La réflexivité n'est pas l'introspection mais suppose au contraire une nécessaire interaction, aux principes renouvelés - exposition de soi, réciprocité, bienveillance, attention à l'autre, coopération.

Quelqu'en soient les limites, cette pratique montre qu'à l'heure où les lamentations sur l'uniformisation fleurissent, des ilôts de singularisation émergent tout autant. Jouant subtilement de la pluralité, ils enrichissent les possibles du sens et nous déportent bien loin du fameux repli sur soi et de la fin du collectif.

 

 

Flash-book 1

 

 

F jullien culture 2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La réunion d'équipe : haut lieu de transformation

 

Ndw 12 Les réunions régulières d'équipe constituent un moment à fort pouvoir instituant. S'y distribuent les places et les pouvoirs respectifs, s'y modélisent les relations entre les différents acteurs, s'y posent les objets de travail dignes d'être discutés et ceux laissés hors champ, etc. Elles sont par conséquent des lieux stratégiques de la transformation du système managérial.

Nul besoin de construire des dispositifs "en plus", chronophages et souvent provisoires. Il est plus productif de transformer l'existant et de faire en sorte que la réflexivité et la dynamique collective qui surgissent généralement le temps d'un séminaire annuel, irriguent le quotidien du travail.

1. Souvent figées autour de l’information descendante, agrémentée de la revue de projets en cours et se concluant de quelques questions diverses, il est temps, à tous les niveaux de l'organisation, du manager de proximité à la direction générale, de les rendre plastiques : Faire varier les formats, les objets, les techniques,...afin de dynamiser les relations, les places, le collectif et les individus.

Il s'agit d'inscrire au sein de la régularité temporelle un principe systématique de variations formelles donnant du rythme et offrant de surcroît la garantie d'une production riche et variée. Modifier les conditions de production des échanges favorise l'émergence d'analyses renouvelées, la découverte et l'apprentissage d'autres modalités relationnelles, l'élaboration d'issues praticables face à ce qui semble impasse.

2. Ce "plastiquage" ne consiste pas à seulement favoriser les échanges entre participants, mais à faire des échanges le principe structurant de la réunion d’équipe.

C'est en développant les échanges entre pairs

  • que l'on dé-hiérarchise. Dé-hiérarchiser ne consiste pas à faire disparaître tout principe hiérarchique, mais à faire en sorte qu'il ne soit pas l'unique principe à régir les relations.
  • que l'on sort l'activité réelle et tout l'engagement subjectif qu'elle suppose du "hors champ" dans lequel ils sont souvent maintenus. Alors qu'ils constituent l'expérience même du travail face aux imprévus et à la complexité de toute situation professionnelle.
  • que l'on transfigure le collectif, lui redonne toute sa puissance : celle de faire sens à partir de son espace d'action.

3. Le champs des variations possibles est vaste.

Les techniques, multiples, sont là, à disposition - co-développement, analyse des pratiques, retour d'expérience, swot, balises du futur, atelier créatif, co-construction de solutions, analyse des situations types,etc, etc. Il suffit de s'en inspirer.

Les possibilités d'ouvrir ponctuellement la réunion à d'autres participants sont inépuisables : externes à l'organisation, internes du "dessous" qui n'y ont généralement pas accès, du "dessus" qui, à tort, se l'interdisent, internes "d'à côté" trop souvent oubliés.

Et enfin, l'autorisation des n+1, n+2,... n'est aucunement nécessaire. Chacun est sur ce point libre d'agir. Il n'y a qu'à prendre le risque d'oser "y aller".

 

 

Agir et "miracle" !

 

Ndw 11 Quelques mots d'Hannah Arendt, pour souhaiter à tous une année belle de nouveaux commencements.

" C'est une propriété de l'agir que de déclencher des processus dont l'automatisme ensuite paraît très semblable à celui des phénomènes naturels, et il lui est spécifique de poser un nouveau commencement, de commencer quelque chose de neuf, de prendre l'initiative, ou en termes kantiens, d'être de soi-même à l'origine d'une chaîne. Le miracle de la liberté réside dans le fait que chaque homme, pour autant qu'il est venu par naissance en un monde qui était là avant lui et continue après lui, est lui-même un nouveau commencement.

(...)

Cette représentation de la liberté comme identique au fait de commencer, (...), nous est étrangère parce qu'il est caractéristique de notre tradition de pensée conceptuelle et de ses catégories d'identifier liberté et libre-arbitre, et de comprendre par libre-arbitre la liberté de faire porter un choix sur quelque chose de déjà donné - de choisir entre le bien et le mal, pour dire vite - mais non la liberté de vouloir simplement que ceci ou cela soit ainsi ou autrement.

(...)

Si le sens de la politique est la liberté, alors cela veut dire que nous avons effectivement le droit, dans cet espace et dans aucun autre, d'attendre des miracles. Non parce que que nous nous serions mis à croire aux miracles, mais parce que les hommes, aussi longtemps, qu'ils peuvent agir, sont en mesure de réaliser et réalisent constamment, qu'ils le sachent ou non, l'improbable et l'incalculable."

 

Source : Hannah Arendt. La politique a-t-elle finalement encore un sens ? in Politique et pensée. Colloque Hannah Arendt. 1996 Payot.

 

Réorg, réorg, réorg... Et les modes de fonctionnement ?

 

Chroniques territoriales / Ndw 10 Réorganisation, fusion, mutualisation, les collectivités sont engagées dans un vaste mouvement structurel qui sans nul doute se poursuivra bien au delà de ce premier acte. La pression viendra tout autant de l'Etat, des nécessités économiques que des mutations majeures qui font évoluer sans cesse leur environnement. Ce moment signe donc l'entrée des organisations territoriales dans un processus inédit de transformation permanente.

1. Cependant, rappelons cette règle de base : Une organisation, c'est de la structure ET des modes de fonctionnements. Elle a plus à voir avec un organisme vivant qu'avec le squelette d'un organigramme. Ce qui donne à la transformation des modes de fonctionnements une place stratégique majeure.

Transformer les modes de fonctionnement :

- ouvre une perspective de renouveau de l'action publique dans laquelle les agents puissent se projeter et qu'ils attendent.

- soutient une dynamique d'évolution culturelle nécessitant que chacun puisse faire l'expérience concrète de nouvelles modalités de relations et d'actions professionnelles.

- donne de nouvelles marges de manoeuvre pour mieux répondre aux enjeux économiques et d'évolutions des services.

- et enfin et surtout, peut doter l'organisation d'une souplesse organisationnelle qui ne peut reposer uniquement sur des changements structurels répétés dont on a pu voir ailleurs les effets délétères. L'adaptabilité à acquérir réside bien plus dans les agents, leurs relations, leur manière de travailler etc,...que dans les structures.

2. Il est donc nécessaire de ne pas se laisser enfermer dans un "tropisme structurel". Un changement de structure, seul, ne surdétermine pas le renouveau de la production du service. Il peut créer des conditions favorables, une base qui oriente vers de nouveaux modes de fonctionnement, mais ceux-ci restent à construire.

3. De nombreuses collectivités ont mis en place des démarches de construction de nouvelles organisations auxquelles agents et managers prennent une part active. Ces démarches plus collaboratives rendent ce moment ré-organisationnel productif. S'y ébauchent de nouvelles formes de relations et de manières de penser et concevoir son activité.

Mais, nombre d'entre elles - limitant la mobilisation/réflexion collective à la seule production des contours des nouvelles structures ou bien la stoppant dès le schéma organisationnel fixé - ne tirent pas parti de ce que ces démarches produisent : des germes qui préparent le terrain pour demain.

Fixées sur les enjeux du présent, elles laissent la question de la structure surdéterminer le pilotage stratégique et se privent alors d'une opportunité d'enchaînement salutaire. Celui qui permettrait d'installer dans la durée de nouvelles modalités de travail et de relations et de construire, par anticipation, une organisation plus adaptée tout autant aux enjeux de demain qu'à à la réussite du projet politique.

 

Source : Jérôme grolleau " La nouvelle donne territoriale. De l'opportunité à la nécessité de changer ?" Cahiers N°16 de l'Observatoire Social Territorial de la MNT

 

Reconnaissance au travail

Ndw 09. Interview sur la reconnaissance non monétaire pour Entreprise & Personnel.

Suite à une intervention dans un module de formation pour les DRH des grandes collectivités (INET)

Entretien reconnaissance jg entreprise et personnelentretien-reconnaissance-jg-entreprise-et-personnel.pdf (83 Ko)

 

Transformation managériale

 

Chroniques territoriales / Ndw 08. Sous le coup d'une baisse sensible des moyens et de restructurations diverses, de nombreuses collectivités se lancent dans des démarches d'évolution, voire d'innovation managériale.

Quelques réflexions et pistes d'approche:

1. Penser et agir système. Se focaliser exclusivement sur les pratiques des managers eux-mêmes et plus particulièrement celles des managers de proximité me semble être un piège à éviter. L'activité managériale de proximité est certes stratégique et les managers en première ligne. Mais elle est aussi le fruit d'un système managérial global. Transformer, c'est donc agir sur l'ensemble des grands déterminants de l'action managériale : communication, RH, pilotage, pratiques managériales, etc.

Par ailleurs, un système managérial est aussi un système de relations entre acteurs. Transformer consiste alors à faire évoluer les places, les rapports et les pouvoirs des uns et des autres. Cette reconfiguration des rapports sociaux est déterminante. En produisant de forts effets de reconnaissance, elle ouvre la voie à une appropriation de la transformation. Un manager de proximité dont la voix est plus reconnue, acquiert un pouvoir d'influer sur le cours des choses et accéde ainsi à une place plus stratégique.

Cette évolution des places et des relations n'est pas circonscrite au seul collectif managérial, mais intégre aussi et surtout les collaborateurs qui oeuvrent quotidiennement à la production du service public local, comme les usagers pour qui celui-ci est produit. Ils ne sont pas hors système !

2. Il s'agit d'instituer des pratiques qui rompent avec ce qui se fait communément dans la collectivité et de les inscrire dans le fonctionnement pérenne de l'organisation. Faire du collaboratif un mode de fonctionnement régulier de l'organisation - au plus près des équipes et sur le quotidien du travail - est plus productif que de faire du participatif dans les grandes occasions ( exemple : élaboration du projet d'administration). L'enjeu est de ne pas se contenter de "coups".

C'est en introduisant des dispositifs concrets sur des champs multiples, fabriqués et expérimentés avec les acteurs concernés, que s'apprennent et se découvrent de nouvelles manières de concevoir sa place et son action. C'est ainsi qu'une dynamique d'évolution culturelle se met en marche.

Instaurer un outil de diagnostic au sein d'une équipe favorise l'émergence d'une culture de l'ajustement permanent et donc de l'innovation. Insituter un RDV-parcours avec les RH facilite le développement d'une culture de la mobilité (pose l'objet mobilité professionnelle dans les têtes, amène à penser son parcours et son rapport à l'organisation, etc). Mettre en place des retours d'expérience, des débriefing, etc stimule une culture de l'apprentissage.

3. Guidée par quelques orientations fortes, c'est une démarche qui se doit d'être piloter en continu, de manière soutenue et avec constance. Elle s'ancre dans un présent en mouvement, tire parti des circonstances et de ce qui est mis en place dans les divers champs constituant alors de nouvelles occasions d'avancer. Chaque pas sert d'appui et invite au pas suivant.

Cette logique d'enchaînements continus procède alors de manière pragmatique et non programmatique. Elle rompt ainsi avec la planification stratégique qui généralement à une longue phase d'élaboration souvent participative fait suivre une tout aussi longue phase de déclinaison dans les services.

Elle entretient une mise en mouvement permanente. Une avancée ici, une autre là, et puis, celle-ci qui permet celle-là, qui misent en rapport les unes avec les autres, dessinent progressivement un autre système managérial, d'autres relations possibles entre les acteurs,..., soit, une nouvelle forme (effet système).

Affaire de dirigeants ? Oui et non. Oui, car ils doivent impulser, autoriser, faciliter. Non car c'est l'affaire d'un collectif et de tout manager qui peut, à son échelle, s'autoriser à porter et produire des avancées au nom de la place qu'il tient et de la mission qui lui est confiée.

Source

Jérôme Grolleau. La nouvelle donne territoriale. De l'opportunité à la nécessité de changer ? Cahiers N° 16 Observatoire social et territorial de la MNT. Avril 2016.

 

Nouvelle donne territoriale. Contre-effectuer l'événement.

 

Chroniques territoriales/Ndw07. Tout collectif peut se trouver dans la situation où il subit les mutations qui se manifestent pleinement à l’occasion de l’événement. Des dynamiques puissantes poussent les acteurs dans ce sens. Mais il peut aussi y faire face. L’événement agit alors comme un stimulant, réveille le corps social et l’invite à ouvrir d’autres possibles, d’autres devenirs dans lesquels il peut se reconnaître.

Contre-effectuer est au coeur de toutes les épreuves individuelles ou collectives. Dans tous les cas, l'opération consiste à absorber, faire travailler, utiliser, détourner et réorienter la force qui s'impose. En prenant appui sur l’énergie que l'événement re-mobilise, il s’agit, comme lorsque l’on fait une contre-proposition, d’explorer les possibles et tenter d’y trouver une voie praticable et désirable, plutôt que de se plier à une logique qui paraît implacable.

À ce titre, la contre-effectuation (Zarifian 2012) est toujours une manière de re-subjectiver ce qui arrive et vous « tombe dessus ». Ne pas en être l’objet, mais reprendre la main.

1. Réforme territoriale et baisse des dotations de l'état produisent une secousse dont chacun sent bien qu'elle marquera un tournant dans l'histoire des collectivités. En ce sens, elle fait donc événement.

Aux yeux des agents, ce tournant peut tout aussi bien prendre la forme d'une spirale négative qui déstabilise les équilibres et accentue le sentiment de vulnérabilité sociale que constituer le point de départ attendu et nécessaire d'un renouveau des modes de fonctionnements internes et des relations des uns et des autres.

La déstabilisation a ici cette vertu de mettre en éveil, de rendre les interrogations - sur ce que l'on fait, comment on le fait, pour quoi on le fait - plus vives, de sortir de la victimisation médiatique et passer à l'autocritique lucide, de révéler et accélérer des évolutions culturelles qui laissent entrevoir de nouvelles manières de penser et d'agir. La situation est donc ouverte et dynamique.

2. Prise sous cet angle, la force d'impact de la secousse constitue donc une impulsion initiale sur laquelle prendre son élan. Elle est porteuse de déstabilisation, certes, mais aussi de mise au travail psychique et d'une énergie potentielle à transformer en énergie cinétique. 

Ce point de vue prend à revers le réflexe qui consiste à atténuer l’impact qui déstabilise. Or manager n’est pas ménager. S'il peut en faire partie, il n’en est pas le coeur. Et en l’occurrence, nous pensons qu’il est plus judicieux d’entretenir le mouvement initial, de le prolonger et le guider, plutôt que de chercher vainement à l’amoindrir.

La nouvelle donne territoriale invite alors les dirigeants comme les managers à doubler la question difficile de son application d'une seconde question encore plus stratégique. Qu’est-il possible d’entreprendre, non pas malgré elle, mais à partir d’elle ? Que faire de cette impulsion initiale ? Comment prolonger son effet dynamique ? Où l’emmener ? Comment agir dès l'amont et quelle direction lui donner ?

Sur cette question, le point de vue des agents est clair : Transformer le système managérial.

 

Source.

Philippe Zarifian. Sociologie des devenirs. L'Harmattan.2012. 

Jérôme Grolleau. La nouvelle donne territoriale. De l'opportunité à la nécessité de changer ? Cahiers N°16 Observatoire social territorial de la MNT. 2016

 

Innovation managériale : petit récit sur les dérives d'un impératif

 

Ndw 06. Pas un colloque, pas un discours de dirigeant sans que ne surgisse comme un nouvel étendard, voire comme une prescription impérieuse : l'innovation managériale

Un haut dirigeant présente le projet stratégique d'une grande entreprise. Temps d'échanges : un directeur opérationnel pointe les contradictions, voire les impasses dans lesquelles la production du service se trouve, les règles RH contraignantes, la culture de l'entreprise, etc. Réponse : " Managers, innovez ! L'innovation est le maître mot de notre entreprise. Elle doit être partout ". Dans le texte ! J'y étais.

Alors, que fait ce directeur ? Il sollicite son réseau professionnel, explore ce qui se fait, identifie des pratiques intéressantes, en parle avec ses collaborateurs, fait son tri, ses emprunts afin de trouver les clefs qui puissent répondre à ses problématiques. Une fois ses scénarios en poche, il retourne voir son haut dirigeant. Ecoute patiente. Mais au fur et à mesure qu'il développe ses propositions, il sent bien que la sentence n'a point besoin d'être formulée, car elle se lit aux plis des lèvres de son interlocuteur. " Déjà vu. Pas assez innovant !".

Car ce qu'il veut lui, c'est une "vraie" innovation, une qui claque, brille, montre que l'on entre dans le "nouveau monde" et que l'entreprise en ouvre les portes,...

 

Bien sûr, cette histoire n'arrive presque jamais, quoique. Mais par contre, elle est là dans les esprits de tous les protagonistes, affleure dans les discours, tel un implicite de l'innovation managériale. Entre impératif catégorique, capture médiatique et stimulation incessante de consultants en surenchère permanente, l'innovation managériale se met autour du cou un noeud coulant qui empêche tout simplement d'avancer.

Le modèle de l'innovation de rupture issue du technologique est tellement présent dans les esprits, les enjeux d'image des uns et des autres tellement insidieux que l'on en arrive parfois à cette situation ubuesque : s'interdire de mettre en place des choses utiles, parce qu'elles ne sont pas assez "innovantes".

 

Alors oublions un temps le terme et tout ce qu'il porte. Prenons de la distance à l'égard de La pratique magique qui prend sens au regard du marché de l'innovation et non à l'aune de l'histoire de son organisation.

Et gardons la notion clef d'un mouvement adaptatif permanent,

fait d'ajustements réguliers et multiples,

qui par accumulation et effet de système

produisent des mutations irréversibles

et bien souvent imprévisibles.

Une avancée ici, une autre par là, et puis, celle-ci qui permet celle-là (art de l'enchainement et des effets en chaîne). Se dessine alors un autre système managérial, d'autres relations possibles entre les acteurs,....

 

Retour à et fin de l'histoire.

Suite à cette déconvenue le directeur opérationnel engage à sa propre initiative un accompagnement individuel. Son objectif est de comprendre ce qui l'affecte tant dans cette aventure. Il faut alors l'aider à "désintriquer" (c'est à dire lier et séparer) ce qui relève de son histoire personnelle et de ses rapports avec son "grand chef". Cette plongée dans son histoire lui permet en outre de retrouver un goût d'entreprendre qu'il avait peu à peu perdu : s'y ressourcer, retrouver le désir qui pousse à s'autoriser au nom de la responsabilité qui lui est confiée. Et oser y aller sans être sous l'emprise du regard de l'autre.

Il reprend alors ses idées initiales, celles qu'il avait exposées. Il tâtonne, expérimente, apprend, enrichit et pas à pas met en oeuvre. Deux ans plus tard, au regard des résultats (économiques et services), le haut dirigeant lui demande de transmettre son expérience aux autres directeurs...

 

 

 

Fusion : Rendre les écarts féconds

 

Chroniques territoriales/Ndw05. Un cadre d'un Conseil Régional "en fusion" me faisait part de tout l'intérêt qu'il portait aux échanges avec ses homologues. L'apport principal était à ses yeux de découvrir des écarts dans les manières de faire. " Ils ne font pas comme nous. Et pourtant nous sommes dans l'administration ! "

Quels enseignements en tirer ?

1. Si il y a écart dans le faire, c'est qu'il n'y a pas UNE manière de faire inscrite dans le marbre et qui serait historiquement fondée. Non seulement des pistes s'ouvrent, deux en l'occurence. Mais l'existence de ce deux signifie qu'il peut y en avoir trois, quatre, etc. L'écart dissout l'illusion du marbre, crée un vide et ouvre potentiellement un espace de créativité.

2. En remettant en cause ce qui n'était pas interrogé et qui pourtant fondait l'action, l'écart a un effet réfléchissant qui constitue l'apport tout autant professionnel que personnel de la rencontre. Il permet de se réfléchir et de réfléchir: prise de recul, pas de côté réflexif.

3. Paradoxalement, l'écart rapproche. C'est  le moteur de la construcion du lien. Sur fond de similitude ce bout d'altérité vient vous dérégler, vous surprendre et fait, au sens fort, rencontre. Comme toute véritable rencontre, elle fait naître un désir de poursuivre l'échange, appelle une suite, soit le début d'une histoire. Pas celle écrite en haut, mais celle vécue en bas et faite de multiples interactions.

4. Quand elles fusionnent, mutualisent, font groupe, etc. les organisations ont souvent tendance à se focaliser sur ce qu'il y a de semblable chez les uns et chez les autres et à construire un socle se résumant au plus petit dénominateur commun. Elles réduisent l'écart et font à la lettre fusion: deux ne font qu'un.

Plutôt que de vouloir trop rapidement réduire l'écart comme on réduirait une fracture en en rapprochant les deux bouts pour qu'ils n'en fassent plus qu'un, il est souhaitable de rendre l'écart fécond afin que deux donnent naissance à un. (Procréation plus que fusion !)

5. Plus que sur les différences identitaires, les écarts qui comptent portent sur le faire : comment fais-tu ? Et à partir de là, qu'allons-nous faire ensemble, comment allons-nous nous organiser, que nous apportons-nous mutuellement et nous transforme, qu'allons-nous construire ensemble, etc.

C'est une approche pragmatique. Elle se base sur l'action, rend l'écart productif et donne toute sa place aux acteurs, à tous les niveaux de l'organisation. Cette dernière crée les conditions pour que cela se passe mais ne construit pas à la place des acteurs. Elle laisse le jeu des interactions se déployer.

Le commun c'est ce que l'on construit grâce à l'intelligence collective que nos écarts produisent.

 

Vertige contemporain

 

Ndw04 " Le vertige est une inversion et une contamination du Proche et du Lointain. Pour l'homme qu'il saisit au milieu de la paroi, l'amont, côté protecteur et proche, se redresse jusqu'à devenir surplombant (...) ; tandis que l'aval, là-bas, se creuse dans un lointain qui commence sous ses pas (...). Il n'y a plus de ." Henri Maldiney (philosophe, 1912-2013)

1. Ce mouvement de bascule entre le proche et le lointain éclaire une caractéristique forte de l'expérience contemporaine de la globalisation. La mise en interdépendance généralisée de tous les points du monde brouille non seulement les frontières entre états, mais plus communément celle que chacun pose entre un là et un là-bas. La globalisation ne relève pas seulement du macro. Elle produit des effets au coeur du micro et de nos vies quotidiennes dont elle change la texture.

2. Le vertige contemporain ne se réduit donc pas au tourbillon de flux d'informations, d'innovations, d'événements, qui nous fait "tourner la tête". Au delà de la sensation visuelle d'un environnement tumultueux, il est plus profondément une sensation kinesthésique (interne  au corps), étrange ; l'appui vacille, le sol se dérobe.

Cette sourde sensation traverse le social : imprévisibilité d'un licenciement, angoisse de chute sociale, conflit lointain qui vient exploser ici, menace écologique qui du virus au radio-actif courre sur les flux, réorganisation subite, délocalisation qui du jour au lendemain fait disparaître de manière imprévisible un emploi et le font resurgir à des milliers de kilomètres, etc.

3. Que fait celui qui brutalement a le sentiment que le sol se dérobe. Il se met à quatre pattes, renforce ses appuis, consolide son assise, reconstruit un pour se remettre debout et agir.

N'est-ce pas ce qui se manifeste dans l'engouement pour le développement personnel (retrouver ses appuis internes - confiance en soi, estime de soi...), dans l'inscription forcenée dans du local, dans le renforcement des relations de proximité et la constitution effrénée d'un réseau qui, comme un filet, tend sa toile et vous arrime au monde ?

4. Ce double mouvement de délocalisation par les flux et de relocalisation dans des lieux que chacun s'aménage amène donc à repenser ce qui est généralement interprété comme un "repli sur soi protecteur". Ce qui apparait comme repli n'est que le renforcement du camp de base : celui à partir duquel chacun prend appui et avance. Ce qui semble une régression sociale est aussi une dynamique adaptative de renouvellement des pratiques sociales.

 

Au-delà des RPS

 

Ndw03 L'émergence des risques psycho-sociaux ne se réduit pas à un durcissement de la pression exercée par les organisations sur les salariés. Il faut y lire également le développement d'un rapport plus intime au travail. Chacun aspire à sentir qu'il existe et compte. Chacun attend des relations gratifiantes et de pouvoir apporter sa valeur ajoutée afin de se sentir utile et efficace. Chacun désire prendre part à quelque chose qui le dépasse et donne une portée à ce qu'il fait. Cette mutation rend le travail de plus en plus personnellement sensible.

1. Le surgissement des risques psychosociaux est aussi l’envers de ce mouvement. C’est justement parce que le travail devient ce lieu de haute intensité subjective qu’il peut être un lieu de souffrance. Et c’est justement quand il y a disjonction entre les modèles d’organisation et la mutation du rapport au travail que la souffrance croît.

2. La question de la reconnaissance tient ici une place majeure et invite à développer une autre logique d'action. Ne pas seulement détecter le risque, mais en construire l'antidote. Ne pas pas seulement accompagner les personnes en souffrance mais cultiver les ressources que sont la confiance en soi et l'estime de soi.

Dans cette optique, il s'agit de reconnaître la réalité du travail quotidien et la part contributive que les acteurs y tiennent. Dire bravo, merci, c'est bien. S'intéresser vraiment à ce que chacun fait et partager cet intérêt, c'est mieux. Car chaque jour, ils mobilisent leur intelligence, leur sensibilité, leur histoire (et donc leur subjectivité) pour trouver des solutions, développer des astuces face à l'imprévu et s'accorder entre eux.

3. Se pencher sur l'activité quotidienne ne veut pas dire être dans le contrôle. C'est savoir comment ils font, à quelles difficultés ils sont confrontés et les traiter. C'est tenir compte de leur expertise dans les décisions prises. C'est échanger sur le service que l'on produit : où en est-on, comment pourrait-on avancer ? C'est donner du pouvoir d'arbitrage et initier avec eux une dynamique d'amélioration, voire d'innovation. En un mot, les considérer comme les véritables producteurs de leur activité et non de simples exécutants.

Tout le monde sans doute y souscrit. Mais dans les faits, a-t-on à tous les étages des organisations instituer les dispositifs qui soutiennent la part contributive de chacun, sollicitent l'expertise, stimulent et sécurisent la prise d'initiative ? Là est l'enjeu : instituer dans l'organisation  de nouveaux modes de fonctionnement.

Source. Jérôme Grolleau, La reconnaissance non monétaire au travail. Cahiers de l'Observatoire social territorial de la MNT, 2014.

 

Storytelling par le bas

 

Ndw02 Le site Racontersavie.com* invite des gens ordinaires à produire de courts récit-témoignages sur leur vie, telle qu'ils la vivent et en font l'expérience. Le but est de rendre visible des pans entiers du social et lisible la société à elle-même. L'ambition est forte : rompre avec le déficit de représentation qui se manifeste chaque jour dans le domaine politique.

En découle un principe simple : il ne peut y avoir de grand récit collectif qui fasse sens, sans qu'il n'entre en résonance avec l'expérience sociale des gens et les dynamiques d'évolution qui la traverse.

1. Ce qui vaut pour le champ politique vaut également pour les organisations. Si les récits qu'elles produisent ne sont plus connectés à ce que les gens vivent et aux évolutions du corps social, la machine à récits tourne à vide et les salariés ne s'y reconnaissent plus. Les experts du storytelling ont beau réinjecter du sensible émotionnel "qui parle aux gens" - événements emblématiques, forte personnalisation, mythes - je doute que cela suffise à faire sens et représentation. L'émotion touche, mais, sans connexion à l'expérience sociale, ce toucher risque fort d'être un "feu de paille" qui illusionne les dirigeants sur leur performance communicationnelle.

2. Face à cette surabondance de discours, toujours en provenance du haut, ne serait-il pas temps d'écouter, de se laisser questionner et nourrir par les récits du bas : au ras de l'expérience.

L'enjeu social est fort. Le décrochage, non seulement assèche la confiance, mais en vient à déréaliser l'expérience elle-même. Un récit qui ne se frictionne plus à la réalité devient une fiction flottante qui peu à peu fait perdre aux mots leur capacité à dire les choses.

3. Ils agissent comme une liste de mots-clefs abstraits qui tend à faire "couverture du réel". Ils ne permettent pas aux managers de poser des mots sur ce qu'ils vivent, de renouveler leurs analyses, ni de construire véritablement une action qui fasse sens.

Il faut alors les aider à s'en détacher un temps et les inviter à braquer le projecteur sur leur activité réelle et l'expérience qu'ils en font. Fort de cet ancrage, il redevient possible de nourrir les mots en expérience sensible, de leur redonner un sens incarné et in fine de ressourcer le discours de l'entreprise en réel.

La technique ? Permettre aux acteurs eux-mêmes de mettre en récit les situations vécues, de manière détaillée, proche du documentaire, les partager, les questionner, en tirer ensemble tous les enseignements et en nourrir l'organisation : Le storytelling par le bas.

* P. Rosanvallon, Le parlement des invisibles, Seuil 2014. initiateur du site racontersavie.com. 

 

Coaching : développer son potentiel ?

 

Ndw01 Le terme de potentiel abonde dans le discours coach. A juste titre, cette croyance en du possible est un ressort fondamental de la dynamique de transformation que le coaching vise à produire.

Cependant nombre de plaquettes et d'ouvrages, mettent en avant l'idée que la finalité-même du coaching serait de "développer, optimiser, augmenter,... son potentiel".

1. Développer son potentiel laisse supposer qu'il n'y aurait du potentiel que du côté de la personne : ce qui exclut l'idée qu'il puisse y en avoir "hors de lui", dans la situation elle-même, du côté de son environnement social.

Or, c'est bien souvent en décryptant ce "hors de soi", en ne considérant pas la situation dans laquelle on est pris comme un donné figé, mais plastique et traversé de multiples dynamiques, que se trouve des prises opportunes qui permettent d'avancer.

La situation dispose d'une potentiel à explorer et à cultiver tout autant que la personne elle-même. C'est dans leur entrecroisement que des pistes nouvelles peuvent émerger.

2. A strictement parler, même développé, augmenté, un potentiel demeure potentiel et ne s'actualise pas nécessairement. L'exploration et la mobilisation de toutes les potentialités d'une personne et de la situation sont bien évidemment des conditions nécessaires au processus-coaching. Mais s'en tenir là, c'est se contenter de développer une bulle spéculative.

Le point clef du processus est le passage du potentiel à son actualisation - franchir une étape, réorienter son approche, adopter de nouvelles modalités d'action... Ouvrir les possibles est une chose, faire le premier pas en est une autre.

3. Au seuil de ce passage, surgit toute la complexité d'un être humain : son désir de changer et de ne pas changer, ses potentialités et sa vulnérabilité, ce qu'il maîtrise et ce qui lui échappe, ce qui vient de lui et tout ce qui vient du dehors, avec leurs multiples intrications... C'est en explorant ces entrelacs, en en dénouant autant que faire se peut les fils, que se dessine une voie, la sienne et non celle d'un modèle qui s'imposerait.

L'occultation de toute cette complexité par un discours coach positif faisant miroiter l'illusion narcissique du développement d'une toute puissance de soi, rate l'essentiel. Le potentiel n'est pas la fin, mais le début. La fin, c'est l'acte : pas celui du héros imaginaire, mais le sien.