Dynamique sociale

Etat des lieux

 

Ndw15 / Chroniques territoriales.  Nos multiples travaux1 auprès des agents territoriaux, confirment le diagnostic suivant : Face aux profondes transformations en cours, l'action managériale a un effet déterminant sur le climat social. Certes, les multiples réorganisations et la réduction des ressources, par déstabilisation et intensification de la charge de travail, impactent le vécu des collectifs et des agents. Mais ce qui décide du résultat final est l'action managériale entreprise.

Nous identifions ainsi trois grands types d'expérience sociale de la transformation en cours.

1. La régression. Elle procède par perception du renforcement de la centralisation de la décision et des modalités de contrôle. Ce mode de pilotage guidé par une forte logique de sécurisation, et fréquemment emprunt d'une méfiance à l'égard des fonctionnaires, produit un double effet négatif : glaciation des relations et rétraction des espaces d'autonomie. Vécu comme une régression par des cadres sur-sollicités et en même temps devenus dépendants au chef, la perte de l'estime de soi vient alors s'ajouter à la déstabilisation comme aux multiples projets à mener dont l'accompagnement difficile des réorganisations. Elle met de nombreux cadres dans une situation difficile, voire en danger : multiplication des RPS en tout genre.

Ce sentiment régressif touche l'ensemble du corps social. En effet, au moment où la situation exige de faire appel à la personne de l'agent (donner de soi, s'impliquer, changer de manière de travailler, de penser, etc), cette modalité porte atteinte à son espace vital et ainsi la nie. Il n'est pas rare alors de rencontrer des agents, cadres ou non, qui pour se protéger et maintenir le sens donné à leur travail fixent leur énergie sur une tâche investie, se créant ainsi un espace de sauvegarde de soi.

2. La morosité. Règne ici le statu quo managérial. On rabote, on réorganise, et on accompagne socialement les transferts et fusions. Mais du point de vue managérial ou des modes de fonctionnement, rien ne se passe. On continue à faire comme avant alors que les fondamentaux sont clairement en train de bouger. Il y a bien adaptation, mais la modalité est ici purement réactive et se limite à une rationalisation économique subie asséchant peu à peu l'élan des acteurs. Le choc est certes moins rude que précédemment. Mais le "faire comme avant" n'ouvrant aucune perspective, mène nulle part.

3. Le renouvellement. Cette dernière expérience sociale se caractérise par la perception dʼavancées managériales significatives, en rupture avec ce qui se faisait communément dans la collectivité. Quelques occurrences simultanées ou successives suffisent à enclencher le processus. Entre elles, un lien sʼopère et, ce faisant, construit une règle dʼinterprétation : il y a une volonté dʼaller de lʼavant et de renouveler lʼunivers professionnel de la territoriale. Le champ des avancées possibles est large. Les figures les plus marquantes en sont : une logique d'action fondée résolument sur les usagers, lʼintensification des relations internes verticales et transversales pour un collectif plus coopératif, des projets dynamisant lʼaction individuelle et/ou collective, des signes de reconnaissance qui vont de la valorisation à une participation plus active aux décisions en passant par lʼaccroissement des marges de manoeuvre, un dispositif de formation plus soutenu, des outils-méthodes pour un plus grand professionnalisme, etc.

L'enjeu est d'enclencher un processus de transformation globale et de l'entretenir par enchaînements afin de renouveler lʼexpérience concrète du travail. S'ouvre ainsi la perspective dʼun devenir dans lequel les agents sont dʼores et déjà engagés. La dynamique positive devient alors le centre organisateur de la perception. Les agents évoquent une "révolution en cours" ou bien à affirment un "C'est mieux qu'avant !". La puissance des avancées essentiellement managériales est donc réelle : une perspective s'ouvre, un sens se dessine.

 

L'impact de l'action managériale est d'autant plus déterminant que ce bouleversement économique et institutionnel intervient au moment même où le rapport au travail est en mutation et les attentes sociales fortes. Dés lors, soit l’action managériale agit à contre-courant par la centralisation et le contrôle, soit, tout au contraire, elle parvient à capter cette attente et ouvre alors une voie aux agents.

C'est le chemin que nous tentons d'emprunter avec certains collectivités en prenant pour point d'entrée, le "mieux-être au travail" et pour objectif la coproduction d'un projet managérial à 1 an. Cet angle d'approche en redonnant une place à la personne au travail amène les collectifs à construire quelques actions-phares sur lesquelles se concentre leur énergie. Elles permettent de faire bouger les relations, les modes de fonctionnement, etc, et ainsi d'inscrire, rapidement et dans le réel, une dynamique visant à "mieux faire ensemble". Dans ce cadre et tels que les collectifs s'en emparent, le "mieux-être au travail" s'avère donc être bien plus qu'une simple compensation aux épreuves du changement, un véritable levier de transformation.

 

1 La nouvelle donne territoriale. Cahiers N°16 Observatoire social de la MNT, 2016. Paré à virer, livret RH MNT-ADGCF, 2017. Ré-enchanter le quotidien. Cahiers N°20 Observatoire social de la MNT, 2018.

 

 

Entre pairs : une nouvelle dynamique sociale

 

Ndw 13 Un dimanche après-midi par mois une de mes filles garde de très jeunes enfants pendant que leurs parents se rendent,..., à une réunion de parents, y parler de leur expérience, partager leurs questionnements et échanger entre pairs et ce, hors de toute institution.

Certains ne manqueront pas de sourire et d'attribuer ce comportement à de futiles "bobos" parisiens, voire de s'emporter à l'encontre d'un tel usage de son temps. Et pourtant, voilà une pratique significative des dynamiques sociales contemporaines, prenant à contre-pied les interprétations réductrices et récurrentes : repli sur soi, délitement du lien social, primauté des intérêts individuels, perte de sens, évanescence des rôles sociaux, perte des repères, etc.

1. Loin d'une disparition des rôles sociaux, cette pratique en signe au contraire le fort investissement, méritant d'y consacrer du temps, voire de l'argent (baby-sitting) et met en évidence la transformation du rapport que chacun entretient avec eux. Il ne s'agit plus de se mouler dans le rôle mais de le moduler, de la façonner à sa façon, le faire sien, pour mieux l'habiter et lui donner un sens personnel.

2. Cet écart au rôle, investi et producteur de sens, est l'espace d'un "travail" de subjectivation de l'individu. S'y glisse un sujet à l'intense activité réflexive. Celle-ci s'ancre dans l'éprouvé des situations concrètes, dans les pratiques,...., sans que les unes soient jugées "bonnes" et les autres "mauvaises".

3. Ni hors des normes, ni hors de toutes références communes, ce travail y prend au contraire appui afin de dégager un style, une singularité, voire innover et expérimenter de nouveaux chemins. L'enjeu n'est pas tant de se distinguer socialement que de construire une relation à soi et au monde, riche, congruente, dynamique. La subjectivation prime sur la distinction.

4. Enfin, si le coeur de cette pratique instaure un rapport réflexif à soi, le rapport à l'autre en est indissociable. La réflexivité n'est pas l'introspection mais suppose au contraire une nécessaire interaction, aux principes renouvelés - exposition de soi, réciprocité, bienveillance, attention à l'autre, coopération.

Quelqu'en soient les limites, cette pratique montre qu'à l'heure où les lamentations sur l'uniformisation fleurissent, des ilôts de singularisation émergent tout autant. Jouant subtilement de la pluralité, ils enrichissent les possibles du sens et nous déportent bien loin du fameux repli sur soi et de la fin du collectif.

 

 

Reconnaissance au travail

Ndw 09. Interview sur la reconnaissance non monétaire pour Entreprise & Personnel.

Suite à une intervention dans un module de formation pour les DRH des grandes collectivités (INET)

Entretien reconnaissance jg entreprise et personnelentretien-reconnaissance-jg-entreprise-et-personnel.pdf (83 Ko)

 

Nouvelle donne territoriale. Contre-effectuer l'événement.

 

Chroniques territoriales/Ndw07. Tout collectif peut se trouver dans la situation où il subit les mutations qui se manifestent pleinement à l’occasion de l’événement. Des dynamiques puissantes poussent les acteurs dans ce sens. Mais il peut aussi y faire face. L’événement agit alors comme un stimulant, réveille le corps social et l’invite à ouvrir d’autres possibles, d’autres devenirs dans lesquels il peut se reconnaître.

Contre-effectuer est au coeur de toutes les épreuves individuelles ou collectives. Dans tous les cas, l'opération consiste à absorber, faire travailler, utiliser, détourner et réorienter la force qui s'impose. En prenant appui sur l’énergie que l'événement re-mobilise, il s’agit, comme lorsque l’on fait une contre-proposition, d’explorer les possibles et tenter d’y trouver une voie praticable et désirable, plutôt que de se plier à une logique qui paraît implacable.

À ce titre, la contre-effectuation (Zarifian 2012) est toujours une manière de re-subjectiver ce qui arrive et vous « tombe dessus ». Ne pas en être l’objet, mais reprendre la main.

1. Réforme territoriale et baisse des dotations de l'état produisent une secousse dont chacun sent bien qu'elle marquera un tournant dans l'histoire des collectivités. En ce sens, elle fait donc événement.

Aux yeux des agents, ce tournant peut tout aussi bien prendre la forme d'une spirale négative qui déstabilise les équilibres et accentue le sentiment de vulnérabilité sociale que constituer le point de départ attendu et nécessaire d'un renouveau des modes de fonctionnements internes et des relations des uns et des autres.

La déstabilisation a ici cette vertu de mettre en éveil, de rendre les interrogations - sur ce que l'on fait, comment on le fait, pour quoi on le fait - plus vives, de sortir de la victimisation médiatique et passer à l'autocritique lucide, de révéler et accélérer des évolutions culturelles qui laissent entrevoir de nouvelles manières de penser et d'agir. La situation est donc ouverte et dynamique.

2. Prise sous cet angle, la force d'impact de la secousse constitue donc une impulsion initiale sur laquelle prendre son élan. Elle est porteuse de déstabilisation, certes, mais aussi de mise au travail psychique et d'une énergie potentielle à transformer en énergie cinétique. 

Ce point de vue prend à revers le réflexe qui consiste à atténuer l’impact qui déstabilise. Or manager n’est pas ménager. S'il peut en faire partie, il n’en est pas le coeur. Et en l’occurrence, nous pensons qu’il est plus judicieux d’entretenir le mouvement initial, de le prolonger et le guider, plutôt que de chercher vainement à l’amoindrir.

La nouvelle donne territoriale invite alors les dirigeants comme les managers à doubler la question difficile de son application d'une seconde question encore plus stratégique. Qu’est-il possible d’entreprendre, non pas malgré elle, mais à partir d’elle ? Que faire de cette impulsion initiale ? Comment prolonger son effet dynamique ? Où l’emmener ? Comment agir dès l'amont et quelle direction lui donner ?

Sur cette question, le point de vue des agents est clair : Transformer le système managérial.

 

Source.

Philippe Zarifian. Sociologie des devenirs. L'Harmattan.2012. 

Jérôme Grolleau. La nouvelle donne territoriale. De l'opportunité à la nécessité de changer ? Cahiers N°16 Observatoire social territorial de la MNT. 2016

 

Vertige contemporain

 

Ndw04 " Le vertige est une inversion et une contamination du Proche et du Lointain. Pour l'homme qu'il saisit au milieu de la paroi, l'amont, côté protecteur et proche, se redresse jusqu'à devenir surplombant (...) ; tandis que l'aval, là-bas, se creuse dans un lointain qui commence sous ses pas (...). Il n'y a plus de ." Henri Maldiney (philosophe, 1912-2013)

1. Ce mouvement de bascule entre le proche et le lointain éclaire une caractéristique forte de l'expérience contemporaine de la globalisation. La mise en interdépendance généralisée de tous les points du monde brouille non seulement les frontières entre états, mais plus communément celle que chacun pose entre un là et un là-bas. La globalisation ne relève pas seulement du macro. Elle produit des effets au coeur du micro et de nos vies quotidiennes dont elle change la texture.

2. Le vertige contemporain ne se réduit donc pas au tourbillon de flux d'informations, d'innovations, d'événements, qui nous fait "tourner la tête". Au delà de la sensation visuelle d'un environnement tumultueux, il est plus profondément une sensation kinesthésique (interne  au corps), étrange ; l'appui vacille, le sol se dérobe.

Cette sourde sensation traverse le social : imprévisibilité d'un licenciement, angoisse de chute sociale, conflit lointain qui vient exploser ici, menace écologique qui du virus au radio-actif courre sur les flux, réorganisation subite, délocalisation qui du jour au lendemain fait disparaître de manière imprévisible un emploi et le font resurgir à des milliers de kilomètres, etc.

3. Que fait celui qui brutalement a le sentiment que le sol se dérobe. Il se met à quatre pattes, renforce ses appuis, consolide son assise, reconstruit un pour se remettre debout et agir.

N'est-ce pas ce qui se manifeste dans l'engouement pour le développement personnel (retrouver ses appuis internes - confiance en soi, estime de soi...), dans l'inscription forcenée dans du local, dans le renforcement des relations de proximité et la constitution effrénée d'un réseau qui, comme un filet, tend sa toile et vous arrime au monde ?

4. Ce double mouvement de délocalisation par les flux et de relocalisation dans des lieux que chacun s'aménage amène donc à repenser ce qui est généralement interprété comme un "repli sur soi protecteur". Ce qui apparait comme repli n'est que le renforcement du camp de base : celui à partir duquel chacun prend appui et avance. Ce qui semble une régression sociale est aussi une dynamique adaptative de renouvellement des pratiques sociales.