Récit

Storytelling par le bas

 

Ndw02 Le site Racontersavie.com* invite des gens ordinaires à produire de courts récit-témoignages sur leur vie, telle qu'ils la vivent et en font l'expérience. Le but est de rendre visible des pans entiers du social et lisible la société à elle-même. L'ambition est forte : rompre avec le déficit de représentation qui se manifeste chaque jour dans le domaine politique.

En découle un principe simple : il ne peut y avoir de grand récit collectif qui fasse sens, sans qu'il n'entre en résonance avec l'expérience sociale des gens et les dynamiques d'évolution qui la traverse.

1. Ce qui vaut pour le champ politique vaut également pour les organisations. Si les récits qu'elles produisent ne sont plus connectés à ce que les gens vivent et aux évolutions du corps social, la machine à récits tourne à vide et les salariés ne s'y reconnaissent plus. Les experts du storytelling ont beau réinjecter du sensible émotionnel "qui parle aux gens" - événements emblématiques, forte personnalisation, mythes - je doute que cela suffise à faire sens et représentation. L'émotion touche, mais, sans connexion à l'expérience sociale, ce toucher risque fort d'être un "feu de paille" qui illusionne les dirigeants sur leur performance communicationnelle.

2. Face à cette surabondance de discours, toujours en provenance du haut, ne serait-il pas temps d'écouter, de se laisser questionner et nourrir par les récits du bas : au ras de l'expérience.

L'enjeu social est fort. Le décrochage, non seulement assèche la confiance, mais en vient à déréaliser l'expérience elle-même. Un récit qui ne se frictionne plus à la réalité devient une fiction flottante qui peu à peu fait perdre aux mots leur capacité à dire les choses.

3. Ils agissent comme une liste de mots-clefs abstraits qui tend à faire "couverture du réel". Ils ne permettent pas aux managers de poser des mots sur ce qu'ils vivent, de renouveler leurs analyses, ni de construire véritablement une action qui fasse sens.

Il faut alors les aider à s'en détacher un temps et les inviter à braquer le projecteur sur leur activité réelle et l'expérience qu'ils en font. Fort de cet ancrage, il redevient possible de nourrir les mots en expérience sensible, de leur redonner un sens incarné et in fine de ressourcer le discours de l'entreprise en réel.

La technique ? Permettre aux acteurs eux-mêmes de mettre en récit les situations vécues, de manière détaillée, proche du documentaire, les partager, les questionner, en tirer ensemble tous les enseignements et en nourrir l'organisation : Le storytelling par le bas.

* P. Rosanvallon, Le parlement des invisibles, Seuil 2014. initiateur du site racontersavie.com.